• Le Gaffiot

     

    Le Gaffiot

    Il y en a qui prennent le Pirée pour un homme, et d’autres qui prennent le Gaffiot pour un dictionnaire latin-français ! C’est oublier que Gaffiot fut d’abord un homme avant de devenir ce pavé de 1700 pages qui lestait le cartable de cuir que mes parents avaient été si fiers de m’acheter pour marquer mon entrée au lycée Charlemagne en octobre 1954. Félix Gaffiot est né le 27 septembre 1870 à Liesle, entre Dol et Besançon. Fils d’un instituteur et d’une secrétaire de mairie, orphelin de père à l’âge de 13 ans, il entre au lycée de Pontarlier. Après le baccalauréat, il obtient une licence de lettres. Nommé professeur à Pont-à-Mousson, il enseigne ensuite à Clermont-Ferrand, tout en préparant l’agrégation. En 1906, il soutient une thèse sur l’apprentissage du latin et devient professeur à la Sorbonne. Peu après il expose ses idées pédagogiques dans une Méthode de langue latine. Pendant la Grande Guerre, il sert en Argonne comme officier auxiliaire de santé. Puis il reprend son enseignement à la Sorbonne, qu’il quitte finalement en 1927, à la suite de désaccords avec ses collègues. Il trouve un nouveau poste à l’université de Besançon, où il est nommé doyen de la faculté des lettres en juillet 1933. En retraite début octobre 1937, il meurt moins d’un mois plus tard, le 2 novembre 1937, victime d’un accident de voiture survenu le 31 octobre près de Mouchard, à une douzaine de kilomètre de Liesle où il était né… Gaffiot était donc bien un homme ! Mais il est resté dans toutes les mémoires comme un dictionnaire… C’est en effet en 1923 que l’éditeur Hachette lui demande de créer un dictionnaire latin-français, lequel sera publié 11 ans plus tard en 1934.

    Ce volumineux  ouvrage de 1700 pages, relié d’une toile marron, a donc été le compagnon fidèle et lourd de mes sept années de latin au lycée Charlemagne, tandis que je transpirais sur Salluste, Suétone, Ovide ou Tacite… Ce gros dico, bien que très complet, ne m’a pas empêché de commettre çà et là bien des contresens qui m’ont valu quelques point en moins pour mes infidèles traductions… Mais il a été aussi un objet ayant d’autres fonctions : ainsi, à la page 1000 j’y avais rangé précieusement une photo de Brigitte Bardot, ainsi protégée de l’inquisition jalouse de ma mère ! A la photo, j’avais ajouté une pensée cueillie dans le jardin ! Ah le romantisme adolescent !!!... Enfin, après la baccalauréat, en 1961, mon Gaffiot m’a servi de tambour, sur lequel je tapais avec frénésie dans le quartier latin, poursuivi par les charges, alors bon enfant, des policiers chargés de disperser le monôme que nous formions dans les rues pour célébrer la fin des épreuves !…  Et mon vieux Gaffiot, à la reliure bien usée, a fini sa carrière dans une étagère de ma bibliothèque, où il se repose depuis plus de 50 ans maintenant. Il y a quelques mois, l’ayant ouvert et feuilleté dans un moment de nostalgie, j’y ai retrouvé la pensée, toute séchée mais encore bleue et jaune, fidèlement insérée à la même place, à la page 1000, et finalement bien conservée… Mais Brigitte Bardot a,  sans doute, moins bien fané que la fleur, et sa photo a disparu depuis longtemps !… J’ai refermé  avec émotion mon vieux Gaffiot. Dans le bas de ma bibliothèque il a repris son sommeil, chargé de tant de souvenirs qui ne sont qu’à moi et qu’il conserve, silencieux et muet, discret et complice, entre ses pages…


  • Commentaires

    1
    Abdel Abdela
    Mardi 9 Février 2021 à 17:53

    Qu'est-ce que c'est beau ! 

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