• Visor Pen

     

    Mon entrée en sixième se passa bien. On parle souvent de difficultés rencontrées au moment où l’on quitte l’école primaire pour l’enseignement secondaire, à cause de la multiplicité des enseignants, et des changements de salles de cours. Pour moi ce fut le contraire. Le lycée mettait fin à une certaine monotonie de l’école. Désormais, on ne voyait pas le même enseignant toute la journée. Il y en avait un par discipline, chacun apportant sa spécialité, mais aussi son caractère, ses manies, ses connaissances. En outre, changer de salle à chaque cours était aussi une bonne chose, ça évitait l’encroûtement dans la routine. Enfin, je crois que la beauté austère du lycée Charlemagne en faisait une incitation à l’étude. Les pierres vénérables des murs qui avaient abrité des communautés jésuites gardaient en elles comme le souvenir de la pensée, de la culture, de l’étude qui avaient fleuri ici… Et puis la cour était entièrement close par les bâtiments : aucune vue, aucune échappée vers le monde extérieur. On ne se sentait pas pour autant en prisonnier, mais au contraire enclos, comme préservés au sein d’un temple de l’étude. De ce fait, encouragé par cette ambiance, j’obtins, dès le premier trimestre de ma sixième, la première place en français ! Quel bonheur ! Et le bonheur, c’est comme le malheur, il n’arrive jamais seul. Mes parents reçurent une lettre : tous les premiers de la classe du trimestre étaient récompensés : on leur offrait un stylo Visor Pen !... Je ne sais pas du tout qui avait organisé cette récompense, je retiens seulement que j’en étais donc bénéficiaire. Un jeudi après-midi de décembre, je me revois avec ma mère, quelque part dans Paris. Une foule incroyable sur le trottoir où l’on faisait la queue ! Je fus très surpris ! Comment ça ? On était donc si nombreux à avoir été premiers en français ? Il faut croire que oui. On attendit longtemps, on piétina dans le froid de décembre, pour enfin accéder à une sorte de comptoir. Là, les parents présentaient le bulletin trimestriel de l’élève et l’élève lauréat recevait son Visor Pen. J’eus ainsi le plaisir de recevoir un stylo tout neuf, et pas n’importe lequel : un Visor Pen ! Il était alors très différent des autres, en ce sens qu’il bénéficiait d’une technologie résolument nouvelle. Tandis que les stylos de l’époque contenaient l’encre dans une sorte de simple réservoir, le Visor en contenait une sorte de mèche, de buvard, en sorte que l’encre n’étais pas stockée sous forme liquide, mais imbibée dans une colobe textile. L’avantage ? Très hardi pour l’époque, la réclame le proclamait dans les pages des magazines : « Visor Pen, le seul stylo qui ne fuit pas en avion » ! Un mot d’explication, pour ceux qi ne pigeraient pas pourquoi. C’est pourtant simple : dans un stylo ordinaire, au-dessus de l’encre, dans le réservoir, il y a de l’air au-dessus du niveau de l’encre ; en avion, du fait de l’altitude et de la différence de pression, l’air au dessus de l’encre se dilate… et fait sortir l’encre du stylo : on s’en fout plein le costard ! Mais dans le stylo Visor-Pen, pas de réservoir d’encre liquide, juste une mèche, comme une éponge  imbibée d’encre…  donc pas d’air au dessus, pas de pression, et pas de fuite en avion ! Génial ! Sauf que je ne prenais jamais l’avion. Seulement le métro. Et dans le métro, ça ne fuit pas, un stylo. Au pire ça s’enfuit entre les mains d’un pickpocket !

  • Commentaires

    1
    pedroplan
    Vendredi 30 Novembre 2012 à 15:10
    Bouboule s'appelait Hémery. je l'ai eu moi aussi bien que carloingen plus récent (1961-67), ainsi que Super dont on disait qu'il se prénommait Jules - et aussi Pinson en musique et Bonifacio en histoire géo. Et Léon en philo.
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