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    L’ennui, dans un lycée dont la double vocation est à la fois littéraire et mathématique, c’est que l’on a une fâcheuse tendance à mépriser les matières jugées secondaires, telles le dessin, la musique… Je le regrette profondément aujourd’hui, car avec les années, l’expérience que donne le recul du temps, il me semble que l’humanisme ne passe pas seulement par le latin, le grec et les Lettres, ni la maîtrise des mathématiques, mais aussi par ce que nous apportent les arts ; car le dessin, la peinture, la musique, sont immédiatement perceptibles et accessibles. Point besoin d’un alphabet à maîtriser, ni d’une syntaxe rigoureuse pour être transporté par la peinture, ou touché par de la musique ; les arts parlent au cœur… Ce n’est pas pour rien que, selon la sagesse des nations, la musique adoucit les mœurs. Mais bon, quand on est en cinquième ou en quatrième, on se fiche bien de ça ! Et donc, je chahutais souvent pendant les cours de musique ou de dessin. Un jour que j’avais sans doute passé les bornes, le prof de dessin me flanqua à la porte de la classe ; je fus fermement prié d’aller dans la cour, et d’y rester jusqu’à nouvel ordre. J’y allai, avec tout de même au fond de moi une petite angoisse : pourvu que le surveillant général ne passe pas dans le coin ! Il me demanderait évidemment ce que je faisais là, et je serais bon pour deux heures de colle, sans compter l’ambiance familiale à la maison, la double peine, quoi  !... Dans la cour il faisait bon, et juste comme j’y étais, la porte du gymnase s’ouvrit de l’autre côté de la cour, juste en face de la classe de dessin. Je vis sortir un élève et le professeur d’escrime. Le spectacle me fit oublier ma mise à l’écart. C’était magnifique, ce cours d’escrime. Le professeur et l’élève étaient revêtus d’une tenue entièrement blanche. Ils tenaient chacun sous leur bras une sorte de casque : c’était en fait un masque de protection, fait d’un grillage fin et sombre. Le maître et l’élève s’éloignèrent l’un de l’autre, évoluant avec élégance sous le préau. Mieux qu’une démarche, c’était un ballet, tant ils évoluaient avec grâce. Puis avec un parfait ensemble, ils se firent face, et mirent chacun sur leur visage le masque grillagé. Ensuite chacun prit son épée, la porta à la verticale devant son visage, puis s’immobilisa un instant au garde-à-vous : salut à l’adversaire avant le duel ! Quelle élégance et quelle classe !  Pendant ce temps là, mes copains… s’escrimaient à leur façon, sans épée mais avec un pinceau, à reproduire « Le Fifre » de Manet… Moi, j’étais dehors, exclu, mais  il y a du positif dans les choses négatives : j’avais certes été puni, mais grâce à cela, j’avais pu assister aux évolutions de deux escrimeurs, j’avais appris quelque chose que je ne connaissais pas, rien qu’on observant ce qui se passait autour de moi... C’est aussi ça, la culture : ce n’est pas seulement ce qu’on apprend par cœur dans les livres et ce qu’on écoute dans les salles de classe, mais aussi ce que l’on cueille soi-même, de ci de là, les yeux ouverts et l’esprit en alerte, en cheminant sur les chemins du monde.

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    Au lycée Charlemagne, nous avions une tenue de sport aux couleurs du lycée : Short bleu et maillot rouge. C’étaient aussi les couleurs de la ville de Paris : normal, puisque le lycée Charlemagne, à deux pas de l’île de la Cité est au cœur même de Paris… Cela étant, je n’ai jamais porté très haut ces couleurs, ne m’étant jamais montré sportif. Dans ce domaine, je faisais juste ce qu’il fallait, c’est-à-dire pas grand-chose, mais suffisamment tout de même pour avoir des notes correctes et ne pas trop me faire remarquer… Le cours de gym, c’était pas mon truc. Le pire, c’est qu’on y avait droit même dans les mois d’hiver. Il y avait au lycée un gymnase fermé et chauffé, équipé de nombreux instruments de torture : cheval d’arçon, barres murales, cordes lisses, tapis de sol, barre fixe. Là, ça pouvait encore aller. Mais la plupart du temps, on allait sur le stade : en fait un terrain de sport qui se trouvait juste à l’extérieur du gymnase, le long des vestiges de la muraille de Philippe-Auguste qui longe le lycée, du côté de la rue des Jardins Saint-Paul. En fait, on traversait l’épaisseur de la muraille, et on se retrouvait sous la gifle glacée du vent ! L’horreur ! On nous faisait courir tout autour du stade… On faisait aussi du saut en hauteur et du saut en longueur… Alors parfois, pour éviter de me les geler sur le stade, j’inventais la classique excuse : « J’ai oublié ma tenue de sport ! »… On pouvait user de ce subterfuge, mais non abuser. Moi je prétextais l’oubli de mon short et de mon maillot les jours de froidure… Du coup, le prof de gym me punissait en m’envoyant en permanence, avec un devoir à faire ! En réalité, je bénissais cette punition qui n’en était pas une ! Car plutôt que de souffrir du froid, je me retrouvais bien au chaud dans la salle de permanence… Il faut dire aussi que, si j’oubliais parfois ma tenue de sport, je n’étais pas le seul, et en ce domaine l’exemple venait du maître ! Un de nos profs de gym faisait cours en costume ! La gym en costard, je n’aurais jamais cru ça possible ! Mais à Charlemagne, ça existait ! Et donc on voyait sur le stade notre prof en costume sombre, avec sur la tête un chapeau noir. Il évoluait ainsi, ce qui ne l’empêchait pas de nous faire des démonstrations sportives, courant en costard pour faire un superbe saut en ciseau au-dessus de la corde ! Ou encore lançant le poids, toujours en costume et chapeau ! A défaut des Jeux olympiques, ce prof de gym hors normes aurait mérité, au moins, de figurer dans le Livre Guiness des records ! Car en son genre, c’était un champion !...

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    En seconde, j’ai eu comme professeur Guy de La Boissière, un fin lettré d’une remarquable culture ; Guerre ou accident, il avait le bras gauche amputé au niveau du coude. Le bras droit avait été atteint également, car, pour le soulever lorsqu’il écrivait au tableau, il utilisait le moignon de son bras gauche en soutien du bras droit ! Quand nous perturbions la classe, ne fût-ce qu’en bavardant, il avait un truc à lui, un truc horrible pour calmer le bavard : il descendait de l’estrade, grimpait dans les marches de l’amphithéâtre, se postait à côté du perturbateur et lui passait plusieurs fois son moignon dans les cheveux ! On rentrait la tête dans les épaules, on frémissait sous ce moignon qui vous caressait la tête… Effet garanti ! En même temps, il disait : « Alors ? un peu bavard, un peu distrait ???... »…Puis il retournait à son estrade et le cours reprenait… Un jour, alors que j’avais encore bavardé plus qu’il n’eût fallu avec mon voisin Eric Maisani, et après avoir subi une fois de plus le supplice du moignon, le prof me lança un défi : «  Lasnier, vous parlez trop pendant mon cours, et d’ailleurs, votre bavard ami a été mieux classé que vous en thème latin… Je vous propose donc ceci, c’est un pari : si vous continuez à bavarder, je parie que vous serez encore classé derrière lui ! Mais si je perds mon pari, je vous ferai un cadeau ! Etes-vous prêt à relever ce défi ?... » J’étais prêt ! Je relevai le défi, pari tenu ! Un mois plus tard, je fus classé 4ème en thème latin, et mon ami Eric était classé derrière moi ! J’avais relevé le défi et mon prof, Guy de la Boissière avait perdu le sien. La semaine suivante, le prof me pria de rester après la classe. Il me remit un « petit classique Hachette » : Les pages choisies de Georges Duhamel. Il n’avait pas choisi ce titre au hasard. Ce petit bouquin avait en effet été préfacé par Olivier Maisani, professeur de Lettres et père de mon copain Eric !... Et il avait bien fait les choses : le fascicule comportait à mon intention une triple dédicace : celle de mon professeur, celle d’Olivier Maisani, et celle, prestigieuse à mes yeux, de Georges Duhamel ! C’était en mars 1959… Aujourd’hui, alors que l’année 2008 est près de s’achever, il est toujours dans ma bibliothèque, le petit classique de Duhamel. Avec, pour moi, ces trois dédicaces que je reproduis ci-dessous, et que je lis encore, parfois, sur les pages dont le papier a un peu jauni…


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    Je le dis aujourd’hui, Ponsin était un bon professeur. Je suis un peu faux-cul en écrivant ça, ou plutôt j’ai vieilli et j’ai acquis une autre sincérité, bien différente de ma perception de l’époque, quand  j’avais 14 ans. A cet âge-là en effet, je ne disais pas que Ponsin était un bon prof. J’étais alors comme tous mes camarades, la musique m’emmerdait, sauf celle d’Elvis Presley, Brassens et Brel… Ponsin  enseignait la musique. Mêler la pédagogie et l’art des sons, quelle belle mission ! Ponsin nous enseignait les divers courants de la musique, il nous racontait l’histoire de la musique à travers la vie des grands compositeurs. Et comme on ne peut se contenter de parler seulement de musique, il nous la donnait à entendre. Une platine tourne-disques, dans sa classe, lui permettait de nous faire écouter les œuvres, comme des illustrations sonores de son enseignement. Je me rappelle aussi qu’il ne se bornait pas à la musique classique. Notre prof faisait quelques incursions contemporaines, nous passant des enregistrements de Gershwin, et nous faisant écouter du jazz New-Orleans. Avec Ponsin, nous chantions ensemble  ce grand classique des Noirs américains :
     « Nobody nows.. the trouble i seem…
    Nobody knows, but Jesus… glory Halleluia !..”
    Mais nous étions jeunes, et nous ne comprenions pas la valeur d’un tel enseignement. Nous chahutions joyeusement le prof . Je me rappelle qu’un jour, au moment du cours, lorsque nous devions nous mettre en rang devant la porte de la classe avant d’entrer, nous avions tous mis notre veste à l’envers ! Ah, on avait fière allure, avec les doublures par-dessus ! Mais bon, jusque là, rien à dire… Hélas, notre insouciance pouvait être aussi de l’inconscience, et l’inconscience devenir méchanceté : c’est ce qui arriva une certaine fin d’année. Cédant à la tradition, nous avions décidé de faire un cadeau à Ponsin. Au dernier cours de juin, lorsqu’il entra dans la classe, il trouva sur son bureau le beau paquet enrubanné qu’on lui avait préparé. Je crois que je vis sourire Ponsin pour la première fois de l’année ! Notre délicate attention l’avait touché. Il défit le paquet devant nous, puis l’ouvrit : il ne contenait qu’une bricole, un  vulgaire crayon à bille bas de gamme, qui apparut sous le tonnerre de nos quolibets ! Pauvre Ponsin, dont le sourire changea. Il se força à l’humour, pour tenter de faire bonne figure et sauver la face devant nos moqueries… Oui, les blagues de potache peuvent avoir un goût amer ! Un goût amer qui me laisse encore aujourd’hui un triste malaise… Vous Carolingiens d’aujourd’hui qui chahutez vos profs, je ne vous fais pas la morale ! Mais soyez juste un peu moins salauds que nous le fûmes. Chahutez les profs, mais ne les blessez pas ! Ne poussez pas la plaisanterie jusqu’à la cruauté, car la cruauté est le contraire de l’humanisme, et le lycée Charlemagne doit être porteur d’humanisme !
     

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  • C'était en 1957. J'avais quatorze ans. J'étais en 4ème B3. La salle de classe jouxtait la rue Charlemagne, au rez-de-chaussée. La vaste pièce aux petits carreaux vitrés donnait aussi sur la cour, au centre de laquelle de maigres arbustes vivotaient dans un petit parterre vert sombre entouré d'un grillage. C'était le printemps, le ciel était plus bleu, nos coeurs plus légers et l'on avait dans son cartable, entre les livres et le sandwich de quatre heures, un disque microsillon de Jacques Brel, un autre d'Elvis Presley ou de Paul Anka, et quelques illustrés : Audax, Yarou, Météor... Un matin, le professeur d'anglais, à peine installé à son bureau, nous regarda d'un air inhabituel. Son regard brillait, pétillant d'un éclat qui frisait l'ironie joyeuse. Un vague sourire éclairait son visage... Il avait l'air de quelqu'un qui prépare une bonne blague et s'en réjouit d'avance... Que lui arrivait-il ? Peut-être était-ce l'air du printemps ? Nous étions debout. Il lança son traditionnel : "please sit down !" qui nous autorisait à nous asseoir, dans le fracas des chaises qu'on ajuste. Ce jour-là il prit tout son temps pour ouvrir sa sacoche de cuir brun et il en sortit d'abord les livres d'anglais pour le cours, comme d'habitude ; puis apparut un dossier cartonné que nous ne lui connaissions pas, et qu'il posa bien en vue devant lui. Nous regardions, attentifs et quelque peu intrigués. Le professeur ouvrit le dossier puis, nous regardant, le sourcil relevé :

    - Qui veut des petites américaines ?...

    Des petites américaines ?? Voilà qui n'était pas pour nous déplaire ! il n'y avait pas de filles à l'époque, au lycée, on était entre garçons... Alors forcément, malgré l'attrait des études, on s'ennuyait bien un peu parfois.... La proposition pourtant nous déconcerta, nous demeurions interdits, sans voix sous l'effet de la surprise. Qu'entendait-il par "des petites américaines" ? Des filles ? Pas possible ! Ce serait trop beau !... Le professeur dès lors précisa l'offre : il s'agissait de correspondantes, des lycéennes qui habitaient là-bas, de l'autre côté de l'Atlantique, à plusieurs milliers de kilomètres, aux Etats-Unis... Elles souhaitaient correspondre avec des garçons, pour se perfectionner en français... Cette fois, l'enthousiasme nous souleva. Il y eut dans la classe beaucoup de volontaires : j'en étais. Et c'est ainsi que je reçus le nom de ma correspondante : elle s'appelait Pauline Lord et elle habitait à Fisher Island.... Yeeees !... Je l'avais, ma petite Américaine ! So pretty, of course ! et puis Fisher Island, ça me semblait tellement exotique, moi qui habitais Ivry-sur-Seine !... Bientôt je lui écrivis en anglais bien sûr, car telle était la règle : je devais lui écrire en anglais tandis qu'elle me répondait en français, une façon originale et motivante d'apprendre les langues, isn't it ?.... Je lui écrivis donc une première lettre qui ressemblait surtout à une sorte de curriculum vitae un peu autère qui commençait bien sûr par "Dear Pauline"... Je disais à ma petite Américaine qui j'étais, je lui racontais vaguement où j'habitais et je lui parlais aussi de mes parents, de mon frère et de ma soeur, et aussi un peu de mon lycée. Tout ça en anglais et j'en étais très fier. Elle me répondit de la même manière, me joignant, la première fois, une jolie carte postale en couleur de Fisher Island... En outre, sur chacune des enveloppes reçues des States, j'avais la joie de découvrir un joli timbre-poste, car j'avais dit aussi à Pauline que je collectionnais les timbres. A cet âge on collectionne plus volontiers les timbres que les filles... C'est aussi plus facile, pour les échanges !... On partagea ainsi quatre ou cinq lettres... Mais le coeur s'enflamme vite à cet âge, en sorte qu'après quelques courriers, il me sembla bien que j'étais terriblement amoureux d'elle et qu'il me fallait absolument le lui dire, absolutely ! C'est ainsi que ma missive suivante fut brève, laconique mais explicite ; au milieu de ma feuille, j'avais dessiné un énorme coeur percé d'une flèche, sous lequel j'inscrivis cette simple phrase inspirée autant par mon coeur enflammé que par les chansons de Paul Anka :

    "I miss you so ! And I kiss you on your lips, Pauline, my love forever !" (je traduis pour les nuls : Tu me manques trop ! Et je t'embrasse sur les lèvres, Pauline mon amour pour toujours !...)

    Cette déclaration sincère et brûlante, in english, traversa l'Atlantique, arriva jusqu'à Fisher Island... Du moins je le suppose, car il n'y eut pas de réponse. Aucune lettre de m'arriva plus... La belle n'avait pas apprécié la hardiesse de son french lover ! Il fallut me rendre à l'evidence : par-delà les mers, j'avais pris un râteau !...  Commencée en avril, ma correspondance était déjà finie en juin : en deux mois et quelques lettres, j'avais perdu ma correspondante d'outre-Atlantique ! Et quelques illusions sur les filles, déjà, à 14 ans ! Mais ma petite Américaine m'avais appris une chose : pour les conquérir, il faut leur mentir ! Quand je vous le disais, qu'il est plus facile de collectionner les timbres que les filles !...


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